lundi 16 mars 2009

L'armée algérienne 1954/1994: Mutations internes1

L'armée algérienne 1954/1994: Mutations internes: Introduction


Par Riadh Sidaoui


INTRODUCTION

Traiter un sujet tel que l'armée nationale populaire algérienne (ANP) pendant 40 ans est une tâche à la fois délicate et hardie. Délicate, dans la mesure où elle aborde un sujet complexe, ambiguë, et dont les sources primaires, les références précises sont rares. C'est une tâche hardie, dans le sens où nous avons la possibilité de traiter et lier l'histoire avec l'actualité, le passé avec le présent pour tenter de comprendre et si possible d'interpréter un long processus d'une armée politisée.

Notre étude s'avère d'autant plus ambitieuse et courageuse, qu'une des principales caractéristiques de l'armée algérienne, depuis son origine, est l’ambiguïté de sa position politique. Détentrice du pouvoir réel depuis pratiquement l'assassinat de Ramdane Abane en 1957, sinon officiellement depuis 1965, elle a toujours préféré l'ombre à la lumière, alors que, concrètement c'est elle qui a imposé et garanti les choix politiques et économiques fondamentaux du pays. De plus, c'est elle aussi qui a imposé tous les chefs d'Etat qu'a connue l'Algérie depuis l'indépendance. Certes, selon les conjonctures, elle se faisait discrète ou omniprésente. A cet égard, le chercheur algérien Abdelkader Yafasah écrit: "elle a toujours agi et continue d'agir avec l'aide et le soutien de civils et d'institutions alibis, comme si elle refusait d'assumer pour elle-même, son rôle politique hégémonique. Ces civils et ces institutions lui tiennent lieu en réalité, de "hidjâb" (voile). Pendant longtemps, le Front de libération nationale (FLN)-Parti unique- avec lequel elle cogérait l'Algérie sans partage, a tenu ce rôle. Les émeutes d'octobre 1988 vont cependant ébranler, puis mettre fin à l’âge d'or de cette cogestion..."[1] Cette implication de l’armée dans les affaires publiques et le régime autoritaire mis en place ont empêché la constitution d'une véritable classe politique.[2] D'une façon générale l'armée en Algérie "se veut propriétaire de l'Etat qu'elle a crée. La légitimité, c'est elle. Le pouvoir, c'est elle."[3]

Le propos de notre étude est complexe compte tenu des dimensions multiples et variées. Ainsi, le sujet traité se refère à plusieurs disciplines: historique, politique et économique. De ce fait, la méthode d'approche requière un choix régoureux et précis.

La méthode historique en tant que méthode générale et les modèles théoriques adéquats constituent des outils d’analyse nécessaires pour aborder un tel sujet.

La méthode historique:

Le méthodologue Madeleine Grawitz souligne qu’en “parlant d’histoire, il faut distinguer l’histoire concrète, conçue comme un matériau et l’histoire comme connaissance de ce matériau. Cette dernière est en effet liée au temps et les sociologues admettent difficilement que l’histoire/connaissance, puisse, à elle seule, par une technique liée au rythme de l’horloge, fournir une explication de l’histoire en tant que réalité en train de se faire . Là se trouve, sans doute, non pas l’explication, mais le point d’insertion de ce qui est à expliquer, de ce qui est explicable. Les données de l’histoire humaine sont fournies par l’histoire, mais l’histoire chose, qui s’identifie avec la réalité sociologique elle-même, tandis que la connaissance historique ne constitue qu’une explication partielle , parmi beaucoup d’autres, de cette réalité”.[4] Par ailleurs, elle précise: “les deux disciplines doivent se compléter, la sociologie fournit à l’histoire des cadres conceptuels (types, structures, conjonctures), mais c’est l’histoire qui, à son tour, fournit à la sociologie les matériaux concrets les plus indispensables, puisque issus de la réalité”.[5]

Le choix de la méthode historique est justifié pour les raisons suivantes:

En premier lieu, c’est la méthode la plus proche de notre sujet, étant donné que l’époque historique traité par notre sujet est bien déterminée dans le temps (1954-1995); et ce malgré l’appartenance de notre mémoire au champ de la sociologie politique et plus précisément à la sociologie des armées.

En second lieu, cette méthode renforce nos analyses et nos conclusions par des faits historiques. De ce fait, cela nous aide à comprendre, interpréter et conclure.

En troisième lieu, elle insère le sujet dans un contexte historique, ce qui permet l’élaboration d’un plan solide et détaillé.

L’hypothèse générale de notre travail est la suivante: le changement de la politique algérienne, la réorientation du socialisme vers l’économie du marché, et l'actuelle guerre civile s’expliqueraient par les mutations internes et profondes au sein de l’armée. D’où l'intérêt d'une étude sur l'évolution/mutation de cette armée.

Notre étude couvrira des époques différentes et comme nous le verrons contradictoires. La première période se situe au moment où l'ALN (l’armée de libération nationale) déclencha une grande révolution avec des capacités matérielles et humaines modestes, dont le dessein était de transformer toute une société et d'engager celle-ci dans la voie de la libération.

Cette même armée vivra plus tard une nouvelle expérience, celle de l'exercice du pouvoir, où elle se transforma en un appareil bureaucratique, qui monopolisera la vie politique et l'application d'un ambitieux projet de développement. La politique menée par cette armée échoua à tous les niveaux. Cet échec aboutit au maintien du pouvoir par la force devant les succés électoraux du parti islamiste (le FIS). De ce fait, l'armée algérienne perdra sa légitimité historique et accumulera ses contradictions/luttes internes.

Ainsi, notre mémoire se divise en trois parties:

1 - L’ALN dans la révolution

2 - L'ANP dans l'exercice du pouvoir

3 - L’ANP dans la guerre civile.



[1] - Abdelkader Yafsah, "Armée et politique depuis les événements d'octobre 88: l'armée sans hidjâb", les Temps Modernes, 50e année, No: 580, janvier/ février1995.PP154-155.

[2]- Mireille Duteil: "La nébuleuse du pouvoir", Esprit, Paris , no: 208, janvier 1995. P98.

[3]- Ibid., p.97.

[4]- Madeleine Grawitz, méthodes des sciences sociales, Dalloz, Paris, huitième édition 1990, p474.

[5] - Ibid., p.474.

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