lundi 16 mars 2009

L'armée algérienne 1954/1994: Mutations internes2

PREMIERE PARTIE: LA REVOLUTION:
ROLE DETERMINANT DE L'ARMEE


Par Riadh Sidaoui

L'application du modèle Tillien sur le cas algérien est une tâche délicate dans la mesure où ce modèle est orienté vers l'analyse des révolutions internes et les mutations au sein de la même société, ce qui veut dire qu'il n'aborde pas les révolutions de type guerre de libération. En dépit de cette spécificité, nous constatons que ces deux concepts Situation révolutionnaire / résultat révolutionnaire, seraient utiles dans notre démarche méthodologique, ce qui nous oblige parfois à négliger quelques détails ou éléments propres à ce modèle, qui n'ont pas une fonction efficace pour notre recherche.

Pour Charles Tilly, une révolution est un transfert du pouvoir. Dans toute révolution, il distingue deux concepts, La Situation révolutionnaire et Le Résultat révolutionnaire.

D'une part, la situation révolutionnaire se caractérise par la présence des causes immédiates (short-term causes) et par des causes lointaines (long-term causes).
En ce qui concerne les causes immédiates, il note trois facteurs:

1- L'apparition des antagonistes, ou des coalitions des antagonistes ayant comme revendication le contrôle total ou partiel de l'appareil d'Etat.

2- L'engagement d'une partie considérable des citoyens en vue de la réalisation de ces revendications.

3- L'incapacité des dirigeants de supprimer la coalition des antagonistes et l'engagement et le soutien de la population dans la lutte pour ces revendications .
Quant aux causes lointaines, il souligne notamment les raisons d'apparition des antagonistes, du soutien de la population et du manque de suppression .
Si nous appliquons ces causes sur le cas algérien, nous constatons:

1- L'apparition d'une élite ayant comme revendication la libération totale de l'Algérie, ce qui signifie également le contrôle du nouvel appareil d'Etat.

2- La population algérienne fut engagée massivement dans la révolution et attachée profondément à l'indépendance du pays, notamment la classe paysanne.

3- L'échec des autorités françaises fut total en vue de mettre fin à l'action de l'élite ou à l'engagement de la population dans sa lutte de libération.
D'autre part, un résultat révolutionnaire se caractérise par quatre causes immédiates:

1- Le démembrement de l'élite préalablement au pouvoir.

2- L'usage de la force armée par les révolutionnaires.

3- La neutralisation ou la trahison de l’armée d'Etat.

4- Le contrôle de la machine étatique par la coalition révolutionnaire.

Lorsque toutes ces causes se manifestent rapidement, une révolution du pouvoir aura eu lieu.
Dans le cas algérien:

1- On ne peut pas parler d'un démembrement de l'élite préalablement au pouvoir, malgré les contradictions croissantes au sein de cette élite sur la façon de traiter la question algérienne.

2- On ne peut pas parler non plus d'une trahison de l’armée française ou de sa neutralisation, malgré le conflit entre le pouvoir central de Charles De Gaulle à Paris et des factions de son armée à Alger, et le putsch de ces derniers pour empêcher le processus de l'indépendance de l'Algérie.

3- Par contre, on peut signaler un usage très massif des forces armées par les révolutionnaires algériens, une armée puissante qui a dépassé 100.000 hommes ayant la conviction profonde que "la liberté ne se donne pas mais s'arrache" . La violence armée fut dès le début de l’insurrection un choix stratégique des révolutionnaires algériens. Cette violence fut monopolisée par l’ALN (armée de libération nationale), qui l’utilisera plus tard pour s’emparer du pouvoir.

4- La révolution a abouti enfin à la libération de l'Algérie et au contrôle de la machine étatique par la faction la plus "radicale" du F.L.N. (Front de libération nationale) soutenu directement par l’ALN et essentiellement par son chef d’état-major Houari Boumedienne.


CHAPITRE (1): SITUATION REVOLUTIONNAIRE

1.1. L'APPARITION D'UNE ELITE REVOLUTIONNAIRE

Jean Baechler, étudiant les variables sociales des phénomènes révolutionnaires, distingue trois grandes catégories sociales: l'élite, le peuple et la canaille et chaque catégorie est composée d'un nombre indéterminé de groupes sociaux concrets. Il accorde une importance considérable à l'élite, "par définition, seule l'élite peut s'emparer du pouvoir. En effet, l'élite regroupe tous ceux qui, dans une activité déterminée, se révèlent les plus aptes" . La révolution algérienne est déclenchée par une élite minoritaire qui fonde le F.L.N. et l'A.L.N.

Toutefois, l'étude de cette élite est utile afin d'appréhender son rôle déterminant dans la révolution.

En effet, les origines lointaines de l'élite du F.L.N. se manifestent dès le début du 20ème siècle, dans des formes multiples. La forme la plus pertinente pour assurer l'encadrement politique des algériens, s'incarne dans le MTLD . Ce parti fondé en 1946 à l'initiative de Messali Hadj, poursuit l'action de l'étoile nord-africaine (1926-1937) et du parti du peuple algérien (PPA) (1937-1939), tous deux dissous par le gouvernement français.

Le MTLD a réussi à incarner le désir d'indépendance qui va engager, auprès de l'émigration algérienne en France et la petite bourgeoisie des grandes cités, le sous prolétariat urbain et la plèbe des villages. C'est le parti de la jeunesse, prêt à recourir à la violence s'il faut pour obtenir l'indépendance. Cette nouvelle conviction a eu lieu notamment à l'issue des événements de mai 1945, (environ 45 milles morts du côté algérien). Plus tard, Mohamed Boudiaf (parmi les premiers fondateurs du F.L.N.), note "les événements de mai 1945 qui ont ensanglanté le Constantinois, ont fait la preuve que le colonialisme français, ne pouvait être combattu que par des moyens révolutionnaires." Puis, il ajoute, "pour les militants de ma génération, le 8 Mai 1945, fut le point de départ d'une prise de conscience et d'une rupture ". Plus tard, le MTLD fonde l'Organisation spéciale (l'OS), une institution qui va former les futurs cadres de l’armée.


1.1.1. L'ORGANISATION SPECIALE:

C'est une organisation paramilitaire liée au MTLD. L'OS fut créée dans la période de 1947-1948. Elle va devenir le foyer de la culture de déclenchement de la révolution armée de 1954, c'est en son sein, que se rencontraient, ceux qui allaient entrer dans l'histoire.
Ses militants furent choisis au sein de l’organisation politique à la base de certains critères tels que: conviction, courage physique, discrétion, clandestinité, etc.

Leur premier soin-bien avant Novembre 1954- fut de rassembler des armes et d'en constituer des stocks en vue de l'action révolutionnaire qu'ils jugeaient désormais inévitable malgré les hésitations de certains membres de la direction du MTLD.

En 1950, l'OS fut démantelée par la police française, détruisant ses structures, et arrêtant des centaines de ses militants, et le plus important, contraignant ceux qui furent en fuite, à l'activité.

Une année après le démantèlement de l'OS, le parti PPA/MTLD décide, alors, de la dissoudre et de réintégrer purement et simplement ses membres dans la structure politique..."la période qui s'était coulée de 1951 à 1954, se caractérisait par un climat conflit- il n'y régnait que la méfiance, le mépris mutuel et la surveillance policière". Ce qui va conduire à l'éclatement du mouvement national.

1.1.2. CONFLIT / RUPTURE AU SEIN DU MOUVEMENT NATIONAL

C'est la période 1952-1953 qui fut caractérisée par une grave crise de confiance des masses populaires vis-à-vis du parti PPA/MTLD, et autres formations politiques (L'Union démocrate pour le manifeste algérien UDMA, le parti communiste algérien PCA, l'Association des Oulémas réformistes algériens) qui étaient en train de subir de profondes brèches. Cette crise du parti peut s'expliquer, selon Boudiaf, par le fait, "qu'aucun d'entre eux, (PPA/MTLD, Oulémas, UDMA, PCA), ne proposait une voie claire, pour libérer le pays de l'exploitation coloniale. Les masses étaient conscientes de leur situation, mais elle ne trouvaient chez aucun parti la réponse à leur question."

Politiquement, le conflit interne éclata au sein du MTLD, quand le chef de ce dernier, Messali Hadj, exigea les pleins pouvoirs à vie. Le comité central, considérant cette exigence comme antidémocratique et inopportune étant donné l'exil de Messali, celui-ci suscitera l'année suivante, dans l'été 1954, en Belgique, la tenue d'un congrès auquel étaient conviés ses partisans. La scission allait être consommée quelque temps plus tard, à son tour, le comité central du MTLD, qui avait été déclaré dissous par les amis de Messali, tiendra à Alger un congrès national pour prononcer l'exclusion de son ancien président et s'affirmer comme la seule autorité politique du mouvement.

C'est ainsi que le MTLD s'éclata en trois tendances/clans. Les messalistes d'un côté, ceux qui croient au leadership charismatique et historique du père fondateur Messali HADJ et à une voie populiste militante, plus ou moins radicale. De l'autre côté, les centralistes, ceux qui représentent le comité central, d'une tendance, souvent élitiste, contre le monopole politique de Messali. Et enfin, la troisième force, qui veut dépasser les thèses des politiciens pour une action révolutionnaire immédiate, en exploitant des conditions favorables à la révolution armée. Ces derniers étaient jeunes et expérimentés par des années de militantisme clandestin au sein de l'OS.

Ces jeunes militants de l'ex-OS fondent le CRUA en vue de réaliser la troisième voie, celle du radicalisme, de l'insurrection armée et de la rupture totale avec les méthodes pacifiques.. C'est l'élite paramilitaire, alors, qui déclenchera la révolution tout en profitant de la déchirure au sein du MTLD. Elle construira, d'abord, le CRUA ( le comité révolutionnaire pour l'unité et l'action).

1.1.3. LE COMITE REVOLUTIONNAIRE POUR L’UNITE ET L'ACTION:

Cette structure fut créée le 23 Mars 1954, et s'arma d'un organe de presse "Le Patriote". La création du CRUA, et de son organe de presse, suscitaient au sein des messalistes, un profond malaise...il se radicalisa, il multiplia les contacts avec les cadres rescapés de l'ancienne organisation spéciale: Bitat; Boulaid; Boussouf; Ben Mhidi... il prenait également attache avec les membres de la délégation extérieure: Hocine AIT Ahmed, Ben Bella, Khider.

La réaction Messalienne fut immédiate, il tint son congrès à Hornu (Belgique) le 15 juillet, excluant tout le comité central et bien entendu les membres du CRUA.

Face à cette action, Boudiaf reconnaît que " le CRUA n'avait plus de raison d'être, puisque le congrès messaliste avait consommé la scission...le CRUA devait connaître son échec, et se dissoudre ou alors, se donner de nouveaux objectifs, répondant à la situation nouvelle...de toute façon la réunion des 22, et le comité de 5 avaient pris la relève sur des positions bien claires et le travail sérieux étaient commencé ".

1.1.4. LES COMITES DE: 22; 5; 6; 9.

Une réunion de 22 personnes, tous anciens de l'OS fut provoquée dans la deuxième quinzaine de juin 1954.
Boudiaf indique que " l'idée assez répandue selon laquelle les 22 étaient des individus isolés, est dénuée de tout fondement. Certes notre souci de déclencher l'action sur tout le territoire national nous avaient amené à faire appel à des éléments moins représentatifs".

Le comité des 5 est apparu du comité des 22, pour ce comité 5, " il fallait coûte que coûte vaincre les doutes, et les réticences des militants de Kabylie. Pour cela nous avions établi un questionnaire en trois points qui devait être présenté aux deux tendances (messaliste-centraliste). - êtes vous pour l'action insurrectionnelle?
- Si oui, quel aide comptez vous y apporter?
- Dans le cas où une action est déclenchée en dehors de vous quelle sera votre position?"

Après, un comité de 6 puis un comité de 9 se sont constitués, réunissant toujours les mêmes jeunes de l'ex-Os. Et finalement, à l'aide de l’Egypte nasserienne, ils déclenchent la révolution armée et fondent en même temps le F.L.N. et l'ALN..

La tâche prémordiale de cette élite fut le déclenchement de l'insurrection. Citons à ce propos El Moudjahid qui note que l'insurrection du ler novembre 1954 “différait de toutes celles entreprises jusque là. Tandis que les insurrections du passé visaient la levée en masse et recherchaient les chocs décisifs avec l'adversaire, celle du ler novembre se traduisit par l'entrée en action de groupes peu nombreux, de guérilleros dont l'impératif stratégique était avant tout l'organisation du peuple et la diffusion des mots d’ordre patriotiques. Ces groupes organisaient des embuscades réussies, des accrochages éclairs, des coups de main spectaculaires. Mais leur tâche primordiale consistait dans la mise en place des structures du F.L.N.” .

Nous remarquons ici que cette élite active n'a pas dépassé 22 militants au total, elle était minoritaire, soit au sein du MTLD, soit dans le mouvement national algérien. Elle est apparu à l'issu d'un conflit général interne qui a divisé le MTLD, comme une troisième tendance choisissant la rupture avec les deux antagonistes. Cette apparition fut déterminante dans le processus révolutionnaire. D'où la confirmation de la première cause de Tilly.

1.1.5. LA COMPOSITION SOCIALE DE CETTE ELITE:

Quant à la composition sociale de l'élite qui a dirigé le FLN et l'A.L.N., elle représente " un Amalgame d'éléments d'extraction diverse. Sur 26 chefs de wilayas (1954/1962), on compte 4 permanents, 3 enseignants (en arabe), 4 étudiants et un lycéen, 3 ouvriers, 2 artisans, 6 commerçants et trois employés. Sur 21 cadres supérieurs de la fédération de France, on trouve 10 permanents, 4 étudiants, 2 professions libérales, 2 employés trois commerçants. La représentation extérieure (1954/1962) comprenait en son sein 9 éléments de professions libérales, 3 commerçants, 14 étudiants, 1 agriculteur, 11 permanents, 6 enseignants, 3 fonctionnaires, 2 travailleurs et 1 militaire. Quant à l’état-major, il est composé d'un commerçant, d'un instituteur, d'un ouvrier chaudronnier et d'un étudiant. Les cadres de l’administration militaire viennent de l’armée française....les aspirations de type plébéien ont des répondants dans les wilayas(les colonels Salah Boubnider, Hassan Khatib, Othmane et Tahar Zbiri), à l’état-major (Mendjelli; Boumedienne), et dans le commandement des zones nord et sud (Bensalem, Salah SOUFI).
Cette composition sociale montre que le FLN et l'ALN sont dominés dès le début de la révolution par la classe moyenne ou prolétaire, tandis que la classe bourgeoise est quasi-absente. Par contre, l’armée de libération nationale est dominée par les paysans dont leur symbole s’incarne dans la personne du chef de l'état-major Houari Boumèdienne. Cette contradiction se manifestera dans les congrès du FLN/ALN.

1.2. LES CONGRES DU FLN/ALN:

En ce qui concerne les objectifs du FLN, la primauté était sans doute pour la libération et l'indépendance totale de l'Algérie à travers l'insurrection armée le "djihad". Mais très vite, le problème du programme politique fut posé. Le choix de la majorité, notamment l'ALN, était pour le socialisme, la justice sociale et le rejet de tout genre de pensée libérale. Ces nouvelles idées sont apparues dans le congrès de la Soummam.

1.2.1. CONGRES DE LA SOUMMAM

Les responsables des FLN/ALN de l'intérieur prirent l'initiative de réunir le 20 août 1956, un important congrès clandestin dit de la Soummam auquel les dirigeants extérieurs ne furent pas convoqués en temps utile. L’armée de libération nationale se donnait un état-major unique confié à Krim Belkacem. La direction politique du FLN était confiée à un conseil nationale de la Révolution (CNRA) et à un comité de coordination et d'exécution (CCE) de cinq membres. Les combattants entendaient maintenir une direction collégiale et définissaient le but de leur lutte: une république algérienne, unitaire, sociale et démocratique. Le côté négatif de ce congrès se manifeste dans les germes apparus d'un conflit interne, notamment dans les décisions de la primauté de l'intérieur sur l'extérieur et du politique sur le militaire. Plus tard, le premier organisateur de ce congrès, Abbane Ramdan, fut assassiné par ses camarades du CCE au Maroc.

1.2.2. LE CONGRES DE TRIPOLI

Cette réunion se tint à tripoli du 27 Mai au 4 Juin 1962, d'où le nom donné à la charte qui, en principe en est sortie. Les principaux rédacteurs de cette charte étaient des militants connus et avaient la confiance du CNRA. Dans ce congrès Ben Bella et Khider présentaient une liste de sept membres du bureau politique qu'ils proposaient au CNRA pour se substituer purement et simplement au GPRA à la tête du FLN outre les "cinq": Ben Bella, Khider, Aït Ahmed, Boudiaf et Bitat, la liste comprenaient Hadj Ben Alla et Mohamed Saïd. Ce fut l'étincelle qui mit le feu aux poudres. Les passions se déchaînèrent à propos du pouvoir. C'est ainsi que le conflit au sein du FLN éclata publiquement. Deux grands pôles dominèrent la situation, d'un côté le GPRA présidé par Ben Youssef Ben Khedda avec les anciens chefs du CCE, les trois "B", Belkacem Krim, Ben Tobbal Lakder, Boussouf Abdelhafid et le soutien de Boudiaf et Aït Ahmed, les grands adversaires de Ben Bella. De l'autre côté, Ben Bella et Khider étaient soutenus ardemment par l’état-major et son chef Boumèdienne. Le premier clan représente la tendance libérale, francophone et citadine, alors que le deuxième se considère comme représentant de la tendance socialiste, arabophone et paysanne. C'est cette dernière qui gagnera le conflit.


1.3. LA PARTICIPATION DES MASSES

La participation des masses est indispensable pour qu'une révolution puisse aboutir à un résultat révolutionnaire.

L'A.L.N. a réussi à rassembler tous ceux qui croient à la lutte armée comme seule voie pour libérer l'Algérie de la colonisation française.
"Désormais, le principal terrain à conquérir n'est ni le sol, ni les vallées, ni les montagnes, ni les collines, mais celle qui donne au sol, aux vallées, aux montagnes et aux collines leur dimension humaine: la population. Et c'est ce terrain là que s'est attaché et a réussi à conquérir le F.L.N/A.L.N".

Le colonisateur a commis une grave erreur stratégique quand il n'a pas distingué entre l'élite activiste et les masses qui furent au début neutres. "Niant l'ordre colonial, et les lois qu'il impose, le mouvement de libération se met délibérément hors la loi. Le militant clandestin, le terroriste, le maquisard opèrent sur le terrain de l'illégalité officielle et attirent sur eux une répression particulièrement rigoureuse. Mais par leur mobilité, par le caractère irrégulier de leur action, par leur clandestinité, ils étendent partout l'insécurité et provoquent de ce fait une répression indiscriminée qui touche de plus en plus d'innocents et détermine en retour l'aggravation de la dichotomie séparant les deux communautés. Dans ce contexte, pratiquement aucun français ne se sent plus en sécurité et en sens inverse tout musulman devient suspect, car “la présomption n'est plus comme le veut la loi, d'innocence mais de culpabilité" .

Ce processus marque la “montée aux extrêmes” du conflit opposant colonisateur et colonisé. La disproportion des moyens entre les deux antagonistes donne à la violence indifférenciée du colonisateur les dimensions d'un génocide. Cette situation joue alors contre le pouvoir colonial. Car “quand trop d'innocents sont punis, l'abstention cesse de paraître une protection" .

C'est la classe paysanne qui s'engagera la première et massivement dans la lutte armée.

Jean Baechler signale que "la paysannerie peut avoir des réactions patriotes. le cas survient lorsqu'un pays est occupé par un ennemi abhorré...Ainsi un mouvement de libération nationale appuyé par la paysannerie se double nécessairement d'une remise en question des rapports sociaux dans les campagnes...Inversement, en période révolutionnaire, l'absence ou la présence de mouvements paysans est un facteur capital" .
C'est ce qui explique dans une large mesure l'importante participation de la paysannerie (l’élément de la population le plus lié au sol) à la lutte armée. “Le terrain devient alors une aide et non un obstacle. Chaque soldat doit utiliser les différents reliefs du terrain pour se cacher des vues de l'adversaire et progresser” .

L'élite du F.L.N./A.L.N. a choisi comme stratégie de s'appuyer sur la classe paysanne. Selon Hugh Roberts "the nationalist movement retreated from its urban bases to the countryside and, in particular, to the mountains, where few Europeans had settles and the traditional system of land tenure and its corresponding feudal structures had survived largely intact. The F.L.N. strategy was to mobilize these structures, and the traditions of social banditry and armed resistance to the central power which accompanied them, in order to outflank the political parties and create a new rallying point for the nationalist movement in a people's war".

C'est ce qui a conduit Franz Fanon aussi, dans ses analyses de la lutte de libération nationale, à conférer un statut doctrinal au mythe de la paysannerie révolutionnaire. Alors que "le prolétariat est le noyau du peuple colonisé le plus choyé par le régime colonial" , les masses paysannes, qui supportent le plus le poids de l'exploitation coloniale, "constituent les seules forces spontanément révolutionnaires du pays"

Toutefois, la participation massive des masses, plus particulièrement la classe paysanne dans la révolution et son engagement total pour l'indépendance signale bel et bien la présence de la deuxième cause dont Tilly a souligné.


1.4. L’INCAPACITE DU COLONISATEUR FACE A LA REVOLUTION

Le colonisateur français ne tarde pas à réagir. Le l7 Novembre, le ministre de l'intérieur François Mitterrand, déclare que "l'Algérie c'est la France et la France ne connaîtra pas chez elle d'autre autorité que la sienne ". De son côté, le 12 Novembre 1954, Pierre Mendes-France répétait les mêmes slogans " les départements d'Algérie font partie de la république; ils sont français depuis longtemps, leur population qui jouit la cité française et est ressentée au parlement a donné assez de preuves de son attachement à la France ".

Les premières explosions et les premiers coups de feu qui ont retenti dans la nuit du 31 octobre au ler novembre 1954 ont été le départ d'un long processus où la violence a été le principal. Le bilan de cette période qui s’est étendue sur plus de sept années, s’élève à plus d'un million de morts de part et d'autre, millions de arrachés à terres et déracinés, 3.000.000 réfugiés en Tunisie et au Maroc, 8.000 villages détruits, des millions d'hectares brûlés, sans compter les blessures profondes et les traumatismes qui témoignent encore de ces “années de feu”.

Sur le plan militaire, le FLN et son bras armé l'ALN, ont pu propager la guerre sur tout le territoire algérien, l'Oranie fut la dernière zone militaire qui déclencha la révolution.

Pour sa part, la France a cru au début de l'insurrection qu'elle mettrait fin à la révolution en quelques jours, puis quelques semaines, voire quelques mois. Elle comprit plus tard, avec Charles De Gaulle, que l'indépendance de l'Algérie était inévitable. Cela n'a eu lieu qu'à la fin de l'année 1961 après 130 ans d'occupation coloniale..

A ce niveau, la cause de Tilly (l'incapacité des autorités) se confirme profondément dans la mesure où les autorités françaises ont tenté plusieurs fois de contrer le mouvement révolutionnaire algérien et l'affaiblir en cherchant des autres interlocuteurs . Face a ces échecs multiples, la France a reconnu le F.L.N. et l'A.L.N. comme seuls représentants légitimes de la révolution. Ce qui a abouti à un résultat révolutionnaire.

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